Pourquoi l’usine marĂ©motrice de la Rance est unique au monde ?

Exploration Pourquoi l’usine marĂ©motrice de la Rance est unique au monde ? crĂ©dit photo - © Port d'Attache - Simon Lagadec

L’usine marĂ©motrice de la Rance vient de souffler sa 53ème bougie, l’occasion de vous expliquer le rĂ´le que celle-ci occupe dans le paysage Ă©nergĂ©tique breton. Plus qu’une histoire digne d’une sĂ©rie rocambolesque, c’est un pan de notre patrimoine que nous souhaitons vous prĂ©senter. Rendez-vous au cĹ“ur de La Richardais et de Saint-Malo (35), entrons dans les entrailles bĂ©tonnĂ©es de ce gĂ©ant, unique en son genre.

Qu’est-ce qu’une usine marĂ©motrice ?

Lorsque vous allumez la lumière chez vous, vous ĂŞtes vous dĂ©jĂ  demandĂ© d’oĂą venait l’Ă©lectricitĂ© utilisĂ©e ? Nous connaissons tous les usines nuclĂ©aires et les Ă©oliennes qui permettent de nous Ă©clairer et plus largement, de vivre notre quotidien avec nos habitudes modernes. Plus rares sont ceux qui connaissent l’existence et le fonctionnement d’une usine marĂ©motrice :

L’idĂ©e est de produire de l’Ă©lectricitĂ© Ă  l’Ă©chelle industrielle, en utilisant la puissance des marĂ©es lĂ  oĂą l’amplitude du marnage (diffĂ©rence de hauteur entre les marĂ©es haute et basse) est le plus important.

C’est grâce aux marĂ©es basses et aux marĂ©es hautes qui se succèdent que la production d’Ă©nergie est possible avec ce style d’usine. Enfilons quelques instants la casquette de Jamy de « C’est pas Sorcier » pour bien comprendre le fonctionnement du marnage. Nous comptons un rythme de deux marĂ©es par jour, appelĂ©es « semi-diurne » et que nous devons Ă  la rotation de la Terre sur elle-mĂŞme. Tout est une question de gravitĂ© et de positionnement des astres.

Quand les astres jouent sur le marnage !

Le phĂ©nomène des grandes marĂ©es et des mortes eaux est dĂ» Ă  la position qu’occupent la Lune et le Soleil par rapport Ă  notre chère planète bleue. Nos ocĂ©ans sont attirĂ©s par la Lune ce qui a pour effet d’Ă©lever le niveau de la mer de chaque cĂ´tĂ© de la terre. C’est parce que nous sommes capables de calculer sur des milliers d’annĂ©es les mouvements de ces astres, que nous pouvons prĂ©dire exactement les horaires et les amplitudes des marĂ©es.

Pour qu’une usine marĂ©motrice puisse ĂŞtre opĂ©rationnelle, le lieu d’implantation est le plus important. L’infrastructure qui accueille les turbines doit obligatoirement ĂŞtre positionnĂ© dans un bras de mer ou un estuaire oĂą le marnage et la profondeur sont consĂ©quents. Les conditions naturelles sont primordiales et limitent les installations :

  • Le marnage doit ĂŞtre compris entre 10 et 15 mètres de hauteur
  • Une profondeur de 10 Ă  25 mètres
  • Un sol rocheux en mesure de soutenir l’Ă©difice

Pas si Ă©vident de trouver un endroit qui rĂ©unit l’ensemble de ces conditions, nous estimons entre 1,5 et 2% la capacitĂ© de production marĂ©motrice au niveau mondial. Outre les sites cĂ´tiers, d’autres facteurs environnementaux et sociĂ©taux viennent complexifier de nouvelles installations.

Quelques chiffres pour connaĂ®tre l’usine marĂ©motrice de la Rance

L’usine marĂ©motrice de la Rance fut la plus puissante au monde jusqu’en 2011, annĂ©e oĂą elle fut dĂ©trĂ´nĂ©e en termes de productivitĂ© Ă©nergĂ©tique par la CorĂ©e du Sud et son usine de Siwha.

Ă€ ce jour, il en existe seulement 5 au monde :

  1. La Rance en Bretagne (1966)
  2. Jiangxia en Chine (1980)
  3. Annapolis au Canada (1984)
  4. Kislaya Guba en Russie (2004)
  5. Siwha en Corée du Sud (2011)

Notre usine bretonne se distingue des 4 autres car elle est la seule Ă  utiliser une turbine dans deux sens, Ă  marĂ©e haute mais aussi Ă  marĂ©e basse. C’est justement pour cette fonctionnalitĂ©, qu’elle est unique en son genre, cocorico !

Quels sont les atouts de l’usine marĂ©motrice de la Rance :

  • L’Ă©nergie marĂ©moteur est la 1ère des Ă©nergies renouvelables
  • Jusqu’Ă  4 cycles de production par jour contre 2 pour les autres usines
  • ReprĂ©sente 17% de la production de l’Ă©nergie en Bretagne
  • ImplantĂ©e sur le lieu des plus grandes marĂ©es d’Europe avec une hauteur moyenne de 8,2 mètres
  • Hauteur de marnage pouvant atteindre les 13,50 mètres
  • Reçoit 50 000 visites par annĂ©e
  • 4ème site industriel le plus visitĂ© en Bretagne

Pour vulgariser, l’usine marĂ©motrice de la Rance produit sur un an l’Ă©quivalent d’une distribution d’Ă©nergie nĂ©cessaire pour une ville de la taille de Rennes, soit 220 000 personnes. Ă€ savoir, la Bretagne n’est pas Ă  ce jour auto-suffisante en Ă©nergie, puisqu’elle importe 83% des ressources nĂ©cessaires. Ce paramètre Ă©tait de 95% en 2010 et fait partie des prioritĂ©s des pouvoirs publics dans la rĂ©gion. Souhaitant augmenter la production locale des Ă©nergies renouvelables avec notamment, l’Ă©olien offshore.

Une belle dame d’un demi-siècle !

53 ans ça se fĂŞte ! Pour cĂ©lĂ©brer cette nouvelle bougie notre Ă©quipage a eu la chance de visiter le site, de fond en comble. Partir Ă  l’aventure dans cet immense bâtiment, quelques mètres en dessous du niveau de la mer, n’Ă©tait pas pour nous dĂ©plaire. Tout d’abord, il faut bien se rendre compte de l’ampleur titanesque de ce projet, qui a vu le jour le 26 novembre 1966, date Ă  laquelle l’usine fut inaugurĂ©e par Charles de Gaulle en personne.

Six annĂ©es de chantiers furent nĂ©cessaires pour construire cet Ă©difice, pĂ©riode oĂą 800 ouvriers ont coopĂ©rĂ©s jour et nuit dans des conditions naturellement hostiles. Il faut dire que sur les plans, l’usine fait un bon kilomètre de long et qu’elle se situe au beau milieu d’un fleuve. Les matières premières pour sa construction parlent d’elles-mĂŞmes :

  • 350 000 m3 de bĂ©ton
  • 15 000 tonnes de mĂ©tal
  • 460 000 m3 de sable

Notre exploration dans les entrailles de l’usine marĂ©motrice de la Rance

Les règles de sĂ©curitĂ© sont strictes, casque et gilet jaune sont obligatoires, pas de vague au pays de l’hydro-Ă©nergie. Au fur et Ă  mesure que l’on descend dans l’usine marĂ©motrice de la Rance, un sentiment de petitesse s’empare de nous, l’Ă©difice est gigantesque. MĂŞme depuis l’extĂ©rieur, en roulant sur le pont reliant Dinard Ă  Saint-Malo, il est difficile d’imaginer l’ampleur du bâtiment. C’est sans doute pour cela que nous fĂ»mes amusĂ©s mais peu surpris de voir les mainteneurs rejoindre leurs postes en vĂ©lo.

Comme l’impression d’ĂŞtre dans un film de science-fiction !

Pas moins de 86 personnes s’activent tous les jours sur place pour entretenir et gĂ©rer le lieu. Nous avons mĂŞme assistĂ© Ă  l’entretien des Ă©normes pales, ces hĂ©lices immergĂ©es sous l’eau et tournoyant pour produire l’Ă©lectricitĂ© avec la puissance des marĂ©es. Au fil du temps, un technicien nous apprend que la nature empiète sur cette technologie, puisque de nombreuses moules viennent s’y fixer. C’est pour cela qu’un processus d’entretien et une organisation millimĂ©trĂ©e comme un maĂ®tre horloger sont primordiaux.

Que dire sur l’envasement de la rance ?

Depuis la mise en service du barrage de la Rance et de son usine marĂ©motrice en 1966, les sĂ©diments se sont accumulĂ©s dans l’estuaire et ont conduit Ă  des modifications dans l’Ă©cosystème.

Le barrage de la Rance pollue-t-il son environnement ?

Une question qui n’est pas si Ă©vidente que cela ! Tout d’abord, il est compliquĂ© d’Ă©valuer l’impact qu’a le barrage sur les sĂ©diments de manière prĂ©cise. Il est prouvĂ© que c’est un phĂ©nomène naturel, qui s’observe dans tous les estuaires. Il est impossible Ă  Ă©viter, tout est une question de gestion des ressources. La vĂ©ritable question est de savoir comment cette activitĂ© humaine accĂ©lère et modifie l’ampleur de cette situation ?

Un objectif est fixé : stabiliser les sédiments sur la Rance.

C’est le ministère de l’Ă©cologie en personne qui a lancĂ© les actions, avec une mission prĂ©cise : approfondir la connaissance du phĂ©nomène de sĂ©dimentation, dĂ©finir les responsabilitĂ©s des diffĂ©rents acteurs et construire un plan de gestion pĂ©renne des sĂ©diments. Pour y parvenir, tout le monde est sur le pont et c’est un vĂ©ritable travail collectif qui est Ă  ce jour en cours entre : les collectivitĂ©s territoriales, le Conseil RĂ©gional, le monde associatif et le concessionnaire actuel du site EDF.

Certaines solutions pour utiliser les sĂ©diments sont dĂ©jĂ  pointĂ©es, l’enjeu est dĂ©sormais de trouver un modèle Ă©conomique :

  • Travaux routiers
  • Apports en agriculture
  • Recyclage en briques de construction

MĂŞme si l’hydroĂ©lectricitĂ© est une Ă©nergie propre et renouvelable, un demi-siècle plus tard, si le mĂŞme projet arrivait sur la table sa construction serait impensable. Du haut de son demi-siècle, l’usine marĂ©motrice de la Rance n’en est qu’au tout dĂ©but de son histoire. Il ne tient qu’aux diffĂ©rents acteurs Ă©conomiques qui interagissent avec elle d’Ă©crire ses prochains chapitres. Une chose est certaine, cette belle dame a tout d’une grande et il ne tient qu’Ă  l’homme d’embellir son visage et ses usages pour les prochaines gĂ©nĂ©rations. Et pour continuer dans une histoire d’eau et de courant, connaissez-vous les principaux fleuves de Bretagne ?

Je suis le capitaine qui aime jouer avec les mots. Après des études dans le commerce et les finances, j'ai conservé cette attirance pour les joutes verbales. Ma philosophie est simple, mieux vaut danser sous la pluie plutôt que d'attendre le soleil.
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Ergué-Gabéric
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